« À Neuilly, les parents d’élèves me donnent l’impression d’être leur employée, leur domestique. » Être enseignant, c’est aussi gérer les parents.
Les défis d’enseigner aux enfants de milieux défavorisés
On pourrait penser que les villes où les enfants viennent de milieux favorisés sont les meilleures pour enseigner. Cependant, les jeunes enseignants redoutent la rentrée pour une raison surprenante : ils doivent non seulement faire face à une vingtaine d’enfants qu’ils ne connaissent pas encore, mais aussi à leurs parents. Et c’est là que réside tout le stress pour les enseignants.
En début de carrière, il est fréquent qu’un enseignant se retrouve dans une école dite « difficile ». Arielle, par exemple, a obtenu son premier poste dans une école située au milieu d’une cité du 91. Malgré son stress initial, elle a rapidement découvert que les parents avaient une grande confiance en elle, ce qui l’a aidée à surmonter les défis de l’enseignement dans un tel environnement.
Après plusieurs années passées en zone violence de l’académie de Versailles, Julia a été nommée à Neuilly sur Seine, une commune aisée du 92. Au début, elle était soulagée de pouvoir enfin enseigner et suivre le programme, mais elle a vite réalisé que les parents d’élèves étaient très intrusifs et exigeants.
Le défi d’enseigner aux enfants de milieux favorisés
Julia a vite découvert que l’implication des parents pouvait rapidement se transformer en ingérence. À Neuilly, les parents d’élèves se permettaient de lui soumettre des idées de séances pédagogiques, de réclamer des services ou de commenter l’avancée du programme sur un ton qui lui donnait l’impression d’être leur employée. Cette charge mentale pesante au quotidien l’empêchait de se reposer pleinement.
Arielle a également ressenti cette pression lorsqu’elle a été mutée dans un endroit plus tranquille, grâce aux points accumulés pendant son début de carrière. Elle a découvert que les parents la considéraient différemment et qu’elle devait faire face à des propos tels que « vous êtes payée avec mes impôts ! ».
Céline, parent d’élève d’une école élémentaire à Saint Cloud, a dû intervenir pour apaiser des tensions entre une famille et un enseignant. Un enfant au comportement difficile avait menacé son professeur en disant « Je vais le dire à mon père et il va te faire virer ».
L’évolution du comportement des parents d’élèves
Selon Philippe Meirieu, chercheur et spécialiste en sciences de l’éducation, l’ouverture de l’école aux parents et les études comparatives entre établissements ont fait évoluer le comportement des parents. L’école est devenue un marché, et certains parents considèrent désormais que les enseignants doivent être soumis à la même concurrence que les commerçants et rendre compte très précisément du traitement individuel de leur enfant.
Aujourd’hui, les parents de la classe « moyenne » commencent eux aussi à adopter une posture de « clients » face à l’école, et la notion de groupe classe se perd peu à peu face à l’intérêt personnel.
Où est-il plus agréable d’enseigner ?
Philippe Meirieu explique que le repérage des enfants « différents » est l’une des raisons de l’évolution de ces dernières années. Les milieux les plus favorisés sont aussi les mieux informés et ont bien compris le message, mais ne l’appliquent que pour leur propre enfant, ce qui crée une rupture fondamentale.
Sophie, enseignante proche de la retraite, constate elle aussi que plus la ville a un niveau socioprofessionnel élevé, plus les parents prennent une place importante dans l’école et ont un poids qu’ils n’ont pas ailleurs. Les classes ne sont pas difficiles à gérer, mais la relation avec les parents peut être un point noir.
À Neuilly sur Seine, l’implication des parents est pesante pour les enseignants, qui sont sur sollicités et ont du mal à conserver une vie privée. Anne, qui a enseigné dans le privé pendant 10 ans avant de passer au public, explique qu’à Neuilly, elle avait souvent l’impression de travailler pour les parents plutôt que pour ses élèves.
Chaque année, l’Éducation nationale publie une carte avec un code couleur qui référence les communes à la plus forte attractivité pour les demandes de mutations. Le 92, département des Hauts de Seine, affiche une couleur très claire, indiquant qu’il y a beaucoup plus de professeurs souhaitant partir que de professeurs souhaitant y venir enseigner.
